DECISION N° 243/11/ARMP/CRD DU 16 DECEMBRE 2011

DECISION N° 243/11/ARMP/CRD DU 16 DECEMBRE 2011 DU COMITE DE REGLEMENT DES DIFFERENDS STATUANT EN COMMISSION LITIGES SUR LA DENONCIATION DE LA SOCIETE KEC INTERNATIONAL LIMITED CONCERNANT LA PROCEDURE RELATIVE A LA PASSATION DU MARCHE DE TRAVAUX D’ELECTRIFICATION RURALE A MBACKE, DIOURBEL, BAMBEY, TIVAOUANE, THIES ET RUFISQUE COMPRENANT L’ELECTRIFICATION ET L’EQUIPEMENT MULTIFONCTIONNEL DE 214 VILLAGES, LA REALISATION D’UNE LIGNE ELECTRIQUE DE 61 KM, L’ELECTRIFICATION A L’ENERGIE SOLAIRE DE 200 ECOLES, POSTES DE SANTE ET 15 395 FOYERS, LANCE PAR L’AMBASSADE DU SENEGAL EN INDE POUR LE COMPTE DE L’AGENCE SENEGALAISE D’ELECTRIFICATION RURALE (ASER). 

LE COMITE DE REGLEMENT DES DIFFERENDS STATUANT EN COMMISSION LITIGES,

Vu le Code des Obligations de l’Administration modifié par la loi n° 2006-16 du 30 juin 2006 ;

Vu le décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portan t Code des Marchés publics ;

Vu le décret n° 2007-546 du 25 avril 2007 portant o rganisation et fonctionnement de l'Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP)notamment en ses articles 20 et 21 ; Vu la décision n° 0005/ARMP/CRMP du 19 mai 2008 por tant règlement intérieur du Conseil de Régulation des Marchés publics ;

Vu la lettre mémoire de KEC International en date du 10 août 2011;

Après avoir entendu le rapport de M. Cheikh Saad Bou SAMBE, Directeur de la Réglementation et des Affaires juridiques, rapporteur présentant les moyens et les conclusions des parties ;
En présence de Monsieur Abdoulaye SYLLA, Président,de MM Abd’El Kader N’DIAYE, Ndiacé DIOP, et Mamadou DEME, membres du Comité de Règlement des Différends (CRD) ;
De MM Saër NIANG, Directeur Général de l’ARMP assurant le secrétariat du CRD, Mme Takia FALL CARVALHO, Conseillère chargée de la Coordination et du Suivi, observateurs ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, Adopte la présente délibération fondée sur la régularité du recours.

Par lettre mémoire du 10 août 2011, enregistrée le même jour sous le numéro 790/11, au Secrétariat du CRD, la société KEC International a saisi le Président du CRD d’une dénonciation relative à la procédure de passation du marché de travaux d’électrification rurale à Mbacké, Diourbel, Bambey, Tivaouane, Thiès et Rufisque comprenant l’électrification et l’équipement multifonctionnel de 214 villages, la réalisation d’une ligne électrique de 61 km, l’électrification à l’énergie solaire de 200 écoles, postes de santé et 15 395 foyers, lancé parl’Ambassade du Sénégal en Inde pour le compte de l’ASER.

Saisi par son Président, le CRD, en sa session du 17 août 2011, a ordonné la suspension de la procédure, en application des dispositions de l’article 21 du décret n° 2007-546 susvisé.

SUR LA RECEVABILITE DE LA SAISINE :

Considérant qu’aux termes de l’article 20 du décretn°2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’ARMP, le CRD peut recevoir des dénonciations des irrégularités constatées par les parties intéressées ou celles connues de toute autre personne avant, pendant et après la passation ou l’exécution des marchés publics et délégations de service public ;

Que si ces faits caractérisent des violations de laréglementation relative à la passation des marchés publics, le Président du Comité saisit, soit la Commission Litiges, soit la Formation disciplinaire, selon lescas ;

Qu’aux termes des dispositions combinées des articles 91 du Code des Marchés publics et 21 du décret n°2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’ARMP, les décisions du CRD ont pour effet soit de corriger la violation alléguée, soit d’empêcher que d’autres dommages soient causés aux intérêts concernés ;

Considérant que l’article 21 du décret n°2007-546 p récité prévoit que la commission Litiges a pour mission, entre autres, d’ordonner toute mesure conservatoire, corrective ou suspensive de l’exécution de la procédure de passation, l’attribution définitive du marché étant suspendue jusqu’au prononcé de la décision de la Commission ;

Considérant que la dénonciation reçue fait part, auvu des éléments fournis par la société KEC International Limited, des allégations sérieuses de violation de la réglementation portant sur les marchés publics, notamment en ce qui concerne le non respect des principes de libre accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;

Que la saisine du CRD vise à corriger les violations alléguées, au cas où elles seraient avérées, et à empêcher que des dommages soient causés au requérant ou à toutes autres personnes morales concernées par la procédure ;

Qu’à cet égard, le recours doit être déclaré recevable ;


LES FAITS

La République du Sénégal et Export- Import Bank Of India (EXIM Bank Of India) ont signé, le 21 avril 2011, un accord de ligne de crédit d’un montant de 27,5 millions de dollars US pour le financement d’un projet d’électrification rurale au Sénégal.
L’Accord de ligne de crédit prévoit, notamment en son Annexe 1.c, que seules des entreprises indiennes sont habilitées à être retenues comme fournisseurs pour ce projet et que la procédure de sélection doit être conforme aux dispositions légales et réglementaires régissant les marchés publics au Sénégal.

Après signature dudit accord, l’Ambassade du Sénégal en Inde a publié le 20 mai 2011, sur son site web www.embsenindia.org, un avis d’appel d’offres en langue anglaise non signé, traduit en français suivant cestermes ci-dessous :

AVIS D’APPEL D’OFFRES

« Le 21 avril 2011, le gouvernement indien à mis enplace une ligne de crédit de 27,5 millions de dollars pour financer la réalisation d’un projet d’électrification rurale dans quelques régions du Sénégal.

Conformément à la loi, aux règles et procédures en vigueur au Sénégal, les autorités sénégalaises compétentes lancent un appel d’offres en procédure d’urgence en vue de permettre la sélection d’une entreprise indiennequi sera chargée d’exécuter le projet comprenant :

1. L’électrification de 214 villages dont 7 seront équipés de plateformes multifonctionnelles ;

2. La réalisation et l’équipement d’une ligne principale de 61 Km de 30 Kva ;

3. L’électrification à l’énergie solaire de 200 établissements communautaires (écoles et dispensaires) ;

4. La réalisation d’installations électriques domestiques pour environ 15 395 foyers.

Le projet sera mis en place dans les localités suivantes : Mbacké, Diourbel, Bambey, Tivaouane, Thiès et Rufisque et couvrira une population de 217 263 personnes dans environ 15 395 foyers.

Les documents indiquant les spécifications techniques des différents composants du projet peuvent être récupérés à l’Ambassade du Sénégal sis au E14/2 Vasant Vihar, New Delhi 110057 (contact : Mme Sree Kurup) ;

Les quantités figurant sur les spécifications techniques sont approximatives et le soumissionnaire devra mentionner les quantités définitives relativement à son offre, en collaboration avec les départements compétents du Ministère en charge de l’Energie. L’évaluation de la conformité des offres se fera, d’une part, sur la base des spécifications techniques définies par les départements compétents du Ministère en charge de l’Energie et, d’autre part, sur la capacité financière et l’expérience des entreprises indiennes soumissionnaires.

Dans ce cadre, l’agence mandatée par le Ministère de l’Energie de la République du Sénégal se réserve le droit d’accepter ou de rejeter toute soumission jugée non conforme, sans possibilité de recours pour le soumissionnaire.
Compte tenu de l’urgence, toute entreprise indienneintéressée peut déposer son offre sous enveloppe fermée à l’Ambassade du Sénégal à New Delhi, dans un délai de dix (10) jours.

Les offres seront transmises aux autorités sénégalaises compétentes et ouvertes le 4 juin 2011 à 11 h 00 par l’agence d’exécution du projet à Dakar. ».

Après avoir été informée de la parution de l’avis d’appel d’offres ci- dessus mentionné, la société KEC International Limited a déposé son offre dans les délais requis, et a appris par la suite qu’un contrat aurait été signé par l’ASER avec un des fournisseurs indiens ayant soumis une offre.

Le 10 août 2011, KEC International Limited a dénoncé auprès du CRD, les supposés manquements ainsi que le non respect du principe de transparence qui a prévalu durant la procédure de passation du marché litigieux. Par décision n° 151/11/ARMP/CRD u 17 août 2011, le CRD a ordonné la suspension de la procédure de passation du marché incriminé.

SUR LES ELEMENTS ARTICULES A L’APPUI DE LA DENONCIATION

A l’appui de sa dénonciation, le Directeur Général (Chief Manager) de KEC International Limited fait observer que dans le cadre de l’appel d’offres susnommé publié sur le site web de l’Ambassade du Sénégal enInde, seules les entreprises indiennes sont habilitées à participer à la compétition, dont les procédures doivent respecter aussi bien le Code des marchés en vigueurau Sénégal qu’en Inde.

Selon lui, l’avis d’appel d’offres a été lancé en procédure d’urgence pour une durée « extraordinairement courte et inhabituelle de dix jours pour un projet de cette dimension ». Il poursuit en affirmant que ledit avis n’a été publié sur aucun autre media indien ou sénégalais, encore moins sur le site web de Exim Bank of India, en violation des dispositions de l’Accord de ligne de crédit signé entre le Gouvernement du Sénégal et Exim Bank of India.

Après avoir été informé « in extremis » de la publication de l’avis d’appel d’offres, il déclare avoir soumis une offre malgré les erreurs et omissions ainsi que le contenu assez faible (neuf pages) du dossier d’appel d’offres retiré auprès de l’Ambassade du Sénégal à Bombay.

Il soutient que l’avis d’appel d’offres mentionnaitque la liste du matériel était donnée seulement à titre indicatif et invitait les soumissionnaires à se rapprocher des services compétents du Ministère en charge de l’énergie pourarrêter les quantités définitives,
sans en préciser la date, ni la nature.

Face à tous ces errements, le requérant affirme sa surprise pour ce genre de projet qui prévoit, d’habitude, une visite de sites ou desexplications préalables à l’attention des candidats.

Il déclare également que l’avis d’appel d’offres prévoit que l’évaluation des offres se fera sur la base de spécifications techniques, sanspour autant décliner les critères qui seront appliqués pour juger de la conformité ou nondes offres, tout en mentionnant le droit du maître d’ouvrage d’accepter ou de rejeter toute offre non conforme, sans possibilité de recours.

L’ouverture des plis a été programmée le samedi 04 juin 2011, jour non ouvrable, au siège de l’agence d’exécution du Gouvernement, sans que le nom et l’adresse de l’agence ne soient mentionnés.

Il s’étonne que les soumissionnaires ne soient pas conviés à l’ouverture des plis qui, normalement, doit être faite en séance publique, pour donner un gage de transparence et de crédibilité à la procédure de passation.

Le requérant soutient qu’au vu de ces éléments convaincants sur l’irrégularité de la procédure, il a adressé, par lettre du 27 mai 2011,une plainte auprès de l’Ambassade du Sénégal en Inde avec une copie à Monsieur le Ministre chargé de l’énergie. La lettre est restée sans réponse. 

Dès qu’il a été informé que l’attributaire du marché a été désigné et qu’un contrat aurait été signé avec ce dernier, il a introduit auprès de l’ASER, conformément à la réglementation en Inde et au Sénégal, une autre lettre de réclamation en date du 03 août 2011, demeurée également sans réponse. Il conclut qu’après avoir mené ses propres investigations, s’être rendu compte que les autres sociétés indiennes qui ont participé à la compétition sont également « dans la même situation d’incompréhension et de surprise ».

Pour toutes ces raisons, il a décidé de saisir le CRD « pour faire respecter la loi et démontrer que le Sénégal est un grand pays de droitoù les sociétés sont choisies selon les règles sérieuses de compétitivité ».

SUR LES ARGUMENTS AVANCES PAR L’ASER, FONDANT LA CONFORMITE DE LA PROCEDURE UTILISEE DANS LE CADRE DE L’APPEL D’OFFRES :

Suite à une saisine du Président du CRD par lettre du 21 août 2011 demandant les éléments d’instruction du dossier, l’ASER répond par lettre du 24 octobre 2011. En liminaire, l’ASER informe que le projet, objet du litige, est le prolongement de la première phase du programme qui a été exécuté dans les mêmes conditions et suivant les mêmes règles de passation pour un montant de 15 millions de dollars US, sur la base d’un contrat daté du 20 novembre 2008.

L’ASER rappelle que l’appel d’offres litigieux a été lancé par l’Ambassade du Sénégal en Inde sur la base d’un dossier d’appel d’offres qu’elle a élaboré et qui concerne exclusivement les entreprises indiennes, conformément aux politiques et procédures d’Exim Bank of India. C’est pourquoi elle avance que les procédures de passation utilisées sont celles d’Exim Bank of India, contrairement à celles se rapportant à l’exécution du marché, qui, elles, sont régies par les procédures nationales en vigueur, conformément aux dispositions de l’Accord de ligne de crédit signé entre le Sénégal et Exim Bank of India.

C’est donc en application desdites procédures que l’appel d’offres qui a été publié a enregistré huit (8) offres venant exclusivement d’entreprises indiennes.

Toutefois, l’ASER fait remarquer que les supposéesirrégularités observées sur le dossier d’appel d’offres par le requérant auraientdû être soulevées par le requérant, non pas après la transmission, au bailleur de fonds, du rapport d’évaluation des offres, mais avant la date de dépôt des offres.

Ensuite, l’ASER soutient, dans un deuxième courrieren date du 28 novembre 2011 transmettant les documents demandés par le CRD, qu’Exim Bank of India a émis un avis favorable sur le rapport d’évaluation des offres et sur le contrat signé le 16 juin 2011 avec l’attributaire, Lucky Exports, pour un montant de 27,5 millions de dollars. Par la suite, Exim Bank a approuvé l’avenant n°1 du dit marché qui a été signé le 16 août 2011, fixant le montant définitif des prestations à 19 249 442 dollars US, le reliquat de 8 250 558 dollars US étant affecté à unprojet d’électrification par l’énergie solaire en Casamance, qui fera l’objet d’un autre appel d’offres en conformité avec les recommandations du bailleur de fonds. L’ASER précise que la décision de suspension de la procédure de passation du marché litigieux prise par le CRD lui a été notifiée à la date du 22 août 2011, donc postérieurement à la signature du contrat et de l’avenant y relatif et informe que les prestations ont d’ailleurs démarré.

L’ASER affirme qu’en utilisant les mêmes procéduresde passation que lors de la première phase du programme, elle a voulu « aller vite compte tenu des enjeux futurs, d’autant plus que cette seconde phase est le seul projet dont le processus de maturation est arrivé à terme pour espérer avoir des réalisations physiques au courant du premier trimestre de 2012. ».

Par conséquent, elle en déduit que la procédure quia été utilisée est conforme aux règles d’Exim Bank of India en matière de ligne de crédits et que toute remise en cause pourrait engendrer des contentieux et compromettre le portefeuille du Sénégal auprès de cette institution financière.

En conclusion, l’ASER tient à rassurer que toutes les dispositions seront dorénavant prises par elle aux fins d’écarter, par avance, toute possibilité de contestations ou de malentendus dans le processus de passation des marchés qu’elle lance.

L’OBJET DU LITIGE

Il résulte des faits et motifs ci-dessus exposés que le litige porte sur :
- le droit applicable à la procédure de passation du marché litigieux,
- la question de la recevabilité ou non du recours,
- le non respect des dispositions légales et réglementaires en matière de procédures de passation de marchés publics.

AU FOND

1) Sur le droit applicable :

Considérant que selon l’ASER, les procédures de passation du Code des marchés publics doivent être écartées au profit de celles définies dans l’Accord de ligne de crédit, pour l’exécution des prestations, objet du litige, sans pour autant donner un fondement juridique à son argumentaire ;

Considérant que l’article 3.3 du Code des marchés publics modifié, dispose que les marchés passés en application d’accords de financement ou de traités internationaux sont soumis aux dispositions du Code des marchés publics sous réserve de l’application de dispositions contraires résultant des procédures prévues par lesdits accords ou traités internationaux ;

Considérant que selon la clause 3.1 de l’Accord de ligne de crédit en date du 21 avril 2011 signée entre le Gouvernement de la République du Sénégal représenté par l’Ambassadeur du Sénégal en Inde et Export Bank of India (EXIM BANK) , aucun contrat n’est éligible à un financement accordé dans le cadre du programme d’électrification rurale, si l’emprunteur (le Gouvernement du Sénégal) ne procède pas à un appel d’offres transparent et équitable pour sélectionner les entreprises attributaires de marché, conformément aux directives relatives aux procédures d’appel d’offres et de passation de marchés mentionnées à l’Annexe 1 dudit Accord;

Qu’en application de cette disposition, l’Annexe 1 de l’Accord de ligne de crédit dispose que l’Emprunteur :
a) doit adopter une procédure transparente basée sur un appel d’offres concurrentiel pour l’attribution du marché à un fournisseur Indien ;
b) doit conduire des procédures d’appel d’offres concurrentiels en accord avec les lois, règles et règlements de passation des marchés en vigueur dans le pays de l’Emprunteurpour s’assurer que l’attribution du contrat a été faite d’une manière équitable et transparente ; lesrègles et règlements du pays emprunteur en matière d’appel d’offres concurrentiel devraient être clairement définis et ses détails fournis à Exim Bank of Indiaen avance ;

c) octroie le marché au fournisseur sur la base d’un processus d’appel d’offres concurrentiel limité aux sociétés indiennes enregistrées en Inde et appartenant au moins à 51% à des citoyens indiens ;
Que par conséquent, suivant l’Annexe 1 de l’Accord de ligne de crédit précité, il ne peut être contesté l’application de la réglementation nationale en matière de marchés publics, notamment le décret n° 2007-545 du 25 avri l 2007 modifié et complété par le décret n° 2011-04 du 06 janvier 2011,

Qu’à cet égard, il y a lieu de considérer que les marchés passés au titre de l’Accord précité restent soumis à la réglementation nationale en matière de marchés publics au Sénégal ;

2) Sur la compétence du CRD:
Considérant que selon l’ASER, la décision n° 151/11 /ARMP/CRD du 17 août 2011 ordonnant la suspension de la procédure de passation du marché incriminé est intervenue après la signature du marché, rendant incompétent le CRD a statuer sur ledit litige ; Considérant qu’il ressort des documents fournis parl’autorité contractante, que le marché litigieux a été conclu le 16 juin 2011, doncantérieurement au recours introduit devant le CRD, entre l’ASER, représentée par son Directeur général, Aliou NIANG et Lucky Exports Sports pour un montant de 27 499 744 dollars US, soit l’équivalant de 12 924 879 680 FCFA (au taux de 1 euro = 1,4 dollar US) ;

Considérant, d’une part, qu’il ressort des dispositions de l’article 21 du Code des obligations de l’Administration modifié que seule l’autorité administrative compétente peut conclure des contrats au nom et pour le comptede la personne administrative qu’elle représente ;

Considérant, d’autre part, que selon l’article 29.3du Code des marchés publics, l’acte d’approbation d’un marché, matérialisé par la signature de l’autorité compétente à ce titre, est la formalité administrative nécessaire pour donner effet au marché ;

Qu’en vertu des seuils d’approbation fixés par ledit article 29.3, le marché litigieux signé entre l’ASER et Lucky Exports devait être approuvé par le Ministre chargé des finances, son montant étant supérieur à 150 millions de francs CFA ;

Considérant toutefois que ni le contrat initial, nison avenant n°1, n’ont satisfait à cette exigence de l’article 29 du Code des marchés publics ;

Qu’en procédant de la sorte, l’ASER s’est mis en marge des exigences légales et réglementaires prévues dont la violation est sanctionnée par les dispositions de l’article 22 du Code des obligations de l’Administration modifié qui prévoient dans ce cas, la nullité absoluede tout contrat conclu par une autorité administrative incompétente ;

3) Sur le non respect des procédures de passation du marché incriminé:

Considérant qu’il ressort de la réclamation de KEC International Limited, que de multiples manquements basés sur la non transparenceet le non respect des procédures ont été constatés durant le processus depassation du marché litigieux ;

3.1 La violation des formalités de publicité:

Considérant qu’il ressort des dispositions de la clause e) de l’Annexe 1 de l’Accord de ligne de crédit, que l’emprunteur doit faire une large publicité des appels d’offres à travers les sites internet ou par tout autre moyen médiatique adapté dans le pays de l’Emprunteur et en Inde, y compris sur le site internet de Exim Bank et des associations de l’Industrie en Inde ;

Considérant qu’il y a lieu de faire remarquer qu’auvu des documents transmis pour les besoins de l’instruction, à l’exception de l’avis d’appel d’offres publié sur le site de l’Ambassade du Sénégal en Inde, il n’a pas été prouvé que l’ASER s’est conformée aux formalités de publicité précitées ;

Considérant également que l’ASER a violé les dispositions de l’article 63 du Code des marchés publics en accordant aux candidats un délaide dix (10) jours calendaires pour la préparation des offres, alors qu’il résulte des dispositions de l’article 63 du Code des marchés publics qu’en cas d'appel d'offresouvert, le délai minimal de dépôt des offres ou des candidatures est de 30 jours calendaires à compter de la date de publication de l'avis d'appel à la concurrence dansle cas d'appels d'offres nationaux, ce délai étant de 45 jours dans le cas d'appels d'offres internationaux et de marchés dont les montants estimés sont supérieurs aux seuils communautaires définis par l’UEMOA ;

Considérant, par ailleurs, que l’ASER n’a pas informé les candidats de la suite réservée à leurs offres, alors qu’il résulte des dispositions de l’article 81.3 du Code des marchés publics, l’obligation pour l’autorité contractante, en cas de décision d’attribution, d’aviser immédiatement tous les autres soumissionnaires pour leur permettre d’exercer leur droit de recours ;

Qu’à cet égard, l’article 24 nouveau du Code des obligations de l’Administration modifié sanctionne le non respect des formalités depublicité prescrites par la nullité de la procédure de passation ou du marché passé, à la requête de toute personne intéressée au déroulement de la procédure ;

3.2 Le caractère incomplet du dossier d’appel d’offres :

Considérant que selon l’article 58 du Code des marchés publics, le dossier d’appel à la concurrence contient la totalité des pièces et documents nécessaires à la consultation et à l’information des candidats selonla procédure choisie, à savoir, entres autres :

a) les pièces relatives aux conditions de l’appel àla concurrence, notamment la référence à l’avis d’appel d’offres ou à l’avis d’appel à la candidature, ou la lettre de consultation, ainsi que le règlement de la procédure,

b) les pièces constitutives du futur marché,

c) les informations communiquées par l’autorité contractante à titre indicatif en vue de faciliter l’établissement de leurs offres par les candidats ;
Considérant que le dossier d’appel d’offres, composé de l’avis d’appel d’offres, d’un cadre de devis et d’un cahier des prescriptions techniques spéciales, ne contient aucune disposition sur le règlement de la compétition, l’application des critères d’évaluation des offres et d’attribution du marché,la procédure d’ouverture des plis qui doit être publique, l’organisation et le traitementdes demandes d’éclaircissement des candidats, le projet de marché qui devra lier le futur attributaire au client ;

Qu’à cet égard, ce manquement est de nature à violer le principe de transparence des procédures édicté à l’article 24 du Code des obligations de l’Administration modifié, sanctionné par la nullité de la procédure ;

3.3 La violation des formalités d’ouverture des plis:

Considérant que selon l’article 67 du Code des marchés publics, les plis des soumissionnaires sont ouverts en séance publique enprésence des membres de la commission des marchés compétente à la date et à l’heure limite de dépôt des offres précisées dans le dossier d’appel d’offres ;

Considérant qu’après constat du CRD, les manquements suivant ont été enregistrés :
a) les soumissionnaires n’ont pas participé à la séance d’ouverture des offres, faute de communication du lieu et de l’heure d’ouverture des plis dans l’avis d’appel d’offres ;

b) le procès verbal d’ouverture des plis, qui ne donne que la liste des membres de la commission des marchés, ne contient aucune information d’ordre administratif, technique et financier sur les huit offres reçues,Que par conséquent, l’ASER a violé les dispositionsde l’article 67 du Code des marchés publics ;

3.4 Les manquements résultant du rapport d’évaluation des offres :

Considérant que selon les dispositions combinées des articles 68 et 70 du Code des marchés publics, la commission des marchés procède d’abord à un examen préliminaire, ensuite à l’analyse , l’évaluation etla comparaison des offres, en fonction des critères établis et mentionnés dans le dossier d’appel d’offres ;

Considérant qu’à ce propos, le rapport d’évaluationdes offres a été présenté, par la commission des marchés de l’ASER, de façon succincte, ne contenant aucune information détaillée permettant de retracer la procédure ou de s’informer sur les critères de sélection utilisés pour l’évaluation des offres ;

Que dès lors, le principe de transparence des procédures n’étant plus garantie, la nullité de la procédure doit être constatée, en référence à l’article 24 du Code des obligations de l’Administration ;

Considérant également que pour cinq des huit candidats qui ont soumis une offre, des écarts ont été décelés entre les notes finales mentionnées sur le rapport d’évaluation des offres et celles contenues dans leprocès verbal d’attribution du marché, ces écarts étant recensées suivant le tableau ci dessous :

 

Nom soumissionnaire

Note finale sur
100 mentionnée
dans le rapport
d’évaluation des
offres

Note finale sur 100
mentionnée dans
le procès verbal
d’attribution

Ecart points
constaté

Angelique International Limited 50 60 +10
Mohan Energy Corporation 49 61 +11
KEC International Limited 42 50 +8
Seftech India 44 40 +4
Nico 14 12 +2


Que par conséquent, il y a lieu d’annuler la procédure au motif que la sincérité et la transparence de la procédure ne sont pas garanties ;

3.5. L’irrégularité de la composition de la commission des marchés :
Considérant que par Note de Direction N° 001/2011/A SER/DG/SPM du 04 janvier 2011, l’ASER a fixé la composition de sa commissiondes marchés comme suit :

Président: Amadou SOW, assistant au Directeur général ASER,Membres titulaires: Madame Rokhaya Diao GUEYE, Directrice administrative et comptable ASER, MM. Oumar THIAM, Chef de cellule de gestion du portefeuille des bailleurs et des investissements de l’Etat, Papa Oumar NGOM, Directeur des concessions d’électrification rurale, ASER Ibrahima NIANE, Directeur de l’électricité au Ministère de l’Energie, Amadou Tidiane DIAW, contrôleur d’Etat siégeant pour la compte du Contrôle financier,

Suppléants: Mohamed Moustapha GUEYE, Chef comptable, ASER, Mademoiselle Aminata BASSE, Chargée de décaissementASER,
Oumar Baila DAF, Expert financier, Daouda DIOUF, Chef de Division au Ministère de l’Energie, Allé NDIAYE, contrôleur d’Etat siégeant pour le compte du Contrôle financier, Considérant que pour les besoins de l’ouverture desplis et de l’évaluation des offres du marché, objet du litige, la commission des marchés a été modifiée comme suit :

MM. Aliou NIANG, DG ASER, Président, Papa Oumar NGOM, Ousmane FALL SARR, Malick GAYE, tous agents de l’ASER, et Mamadou Aliou DIALLO, Secrétaire général TSE ;

Qu’à l’exception de Pape Oumar NGOM, tous ceux qui ont siégé ne sont pas membres de la commission des marchés ;

Que par conséquent, cette composition est irrégulière et viole les dispositions de l’arrêté n° 11588 du 28 décembre 2007 pris en appli cation du Code des marchés publics et fixant le nombre et les conditions de désignation des membres des commissions des marchés des autorités contractantes;

3.6 L’interdiction illégale faite aux candidats de contester la décision d’attribution du marché :
Considérant qu’il ressort des clauses de l’avis d’appel d’offres, que l’ASER se réserve le droit d’accepter ou de rejeter toute soumission jugée non conforme, sans possibilité de recours pour le soumissionnaire ; Considérant que le Code des obligations de l’Administration modifié, notamment en son article 31, a consacré l’exercice de ce droit en permettant à tout candidat, participant à une procédure de passation dont il a été évincé, d’introduire une procédure de recours devant le CRD ;

Que par conséquent, l’ASER ne peut, sous peine de porter atteinte à ce droit reconnu par la loi, en interdire son exercice.

3.7 L’absence de revue préalable de la DCMP :

Considérant que le Code des marchés publics, notamment en ses articles 137 et 138, donne compétence à la DCMP d’assurer le contrôle a priori des dossiers d’appel d’offres passés par les agences, dont la valeur estimée est égale ou supérieur à 250 millions pour les marchés de fournitures et 500 millions pour les marchés de travaux, seuil fixé par arrêté n° 11580 du 28 décembre 2007, pris en application de l’article 38 du Code des marchés publics ; Considérant que l’ASER n’a, à aucun moment de la procédure de passation du marché litigieux, respecté cette formalité substantielle, alors qu’en vertu des dispositions de l’article 18 du Code des obligations de l’Administration modifié, lorsque la conclusion d’un contrat est soumise à une autorisation préalable, la violation de cette obligation entraine la nullité absolue du contrat ;

DECIDE :

1) Reçoit le Président du CRD en sa saisine ;

2) Dit que les dispositions de l’Annexe 1 de l’Accord de ligne de crédit, signé entre la République du Sénégal et EXIM Bank Of India, prévoient expressément que les lois, règles et règlements de passation des marchés en vigueur dans le pays de l’Emprunteur sont applicables pour la sélection des entrepreneurs et fournisseurs ;

3) Dit que ni le contrat initial, ni sont avenant n°1 n’ont été approuvés par l’autorité compétente pour donner effet au marché ; qu’à cet égard,

4) Dit que la violation de cet exigence est sanctionnée par les dispositions de l’article 22 du Code des obligations de l’Administration modifié qui prévoient la nullité absolue de tout contrat conclu par une autorité administrative incompétente ;

5) Constate que l’ASER ne s’est pas conformée aux exigences de publicité de l’appel d’offres requis à la clause e) de l’Annexe 1 de l’Accord de ligne de crédit susmentionné ;

6) Constate que le dossier d’appel d’offres ne contient aucune disposition réglementant le déroulement de la procédure de passation du marché concerné ;

7) Constate que la séance d’ouverture des plis n’a pas été publique, pour défaut de mention dans l’avis d’appel d’offres, du lieu etde l’heure d’ouverture des plis ;

8) Constate que le procès verbal d’ouverture des plis ne mentionne aucune information d’ordre administratif, technique et financier sur les huit offres reçues ;

9) Constate que les critères de sélection ne sont pas mentionnés sur le dossier d’appel d’offres ;

10) Constate l’incohérence entre les notes des soumissionnaires mentionnées dans le rapport d’évaluation des offres et le procès verbal d’attribution du marché ;

11) Constate que l’ASER a empêché l’exercice du droit de recours des candidats en décidant de ne pas publier l’avis d’attribution du marché ; par conséquent,

12) Dit que l’article 31 du Code des obligations del’Administration a consacré l’exercice du droit de recours en permettant à tout candidat, participant à une procédure de passation dont il a été évincé, d’introduire une procédure de recours devant le CRD ;

13) Constate que la composition de la commission des marchés est irrégulière et viole délibérément les dispositions de l’arrêté n° 11588 du 28 décembre 2007 pris en application du Code des marchés publics ;

14) Constate que l’ASER ne s’est pas conformée aux dispositions des articles 137 et 138, donnant compétence à la DCMP d’assurer le contrôle a priori des dossiers d’appel d’offres ; par conséquent,

15) Dit qu’en vertu des dispositions de l’article 18 du Code des obligations de l’Administration modifié, la violation de cette obligation entraine la nullité absolue du contrat ;

16) Dit que le marché ainsi conclu est contraire aux dispositions des articles 28, 36, 58, 67, 68, 70 du Code des marchés publics ;

17) Dit que ces violations manifestes sont sanctionnées par les dispositions de l’article 22 du Code des obligations de l’Administration modifié par la nullité absolue du contrat conclu ;

18) Dit que le Directeur Général de l’Autorité de Régulation des Marchés publics est chargé de notifier à KEC International Limited,à l’ASER, à EXIM Bank of India et à la DCMP, la présente décision qui sera publiée.

Le Président

Abdoulaye SYLLA

 

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