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Entretien avec Jean-Philippe Nadal, fonctionnaire du ministère français des Finances et expert sur les questions relatives à la commande publique : Le dispositif est très complet et permet donc d’agir efficacement pour offrir toute sa place au secteur privé local et communautaire et aux PME’’
1- Globalement, quelle appréciation faites-vous de la réglementation et de la pratique des PPP au Sénégal, à l’aune des standards internationaux, plus particulièrement de ce qui se fait en France ?
Je veux d’abord souligner la qualité des articles consacrés à la réforme des PPP au Sénégal. J’ajoute ma voix et mon regard extérieur pour confirmer que le Sénégal a fait considérablement progresser son cadre juridique et institutionnel des PPP dans ces dernières années pour aboutir aujourd’hui à un système cohérent, très construit, déjà très proche de la directive PPP que vient d’adopter l’UEMOA en septembre dernier.
L’expertise française y compris moi-même avait été sollicité pour participer aux travaux d’élaboration de cette directive puisque l’UEMOA avait été accompagnée notamment par la France dans l’Initiative PPP France – Banque mondiale pour la promotion des PPP opéré par Expertise France sur financement du Trésor français, en liaison étroite avec l’AFD et en partenariat avec la Banque mondiale. Une avocate du cabinet FIDAL avait notamment été mise à disposition deux ans auprès de la Commission de l’UEMOA pour appuyer l’équipe de la Commission en charge d’élaborer un premier projet et mener la concertation avec les pays membres de l’UEMOA.
Le dispositif finalement adopté issu de débats approfondis entre les pays membres et aux quels le Sénégal a activement participé, se retrouve dans ses caractéristiques essentielles dans le cadre adopté en 2021 au Sénégal. Il intègre pour l’essentiel l’architecture institutionnelle, juridique et procédurale conforme aux bonnes pratiques internationales dont les éléments clefs sont :
- La référence aux deux grandes familles de PPP clairement distinguées au plan international, la famille concessive reposant sur un financement trouvé auprès des usagers donc hors budget, le risque d’exploitation étant substantiellement transféré au partenaire privé, et la famille de PPP à paiements publics, plus proche des marchés publics, sans transfert de risque d’exploitation et faisant peser le poids des paiements directement sur le budget public ;
- L’institution d’études préalables très approfondies précédant l’approbation du choix des projets et de leur montage en PPP pour en valider l’opportunité au regard du développement du pays, la pertinence du montage contractuel en comparaison des formes classiques de marchés publics, la soutenabilité financière, l’acceptabilité des risques du projet et la pertinence de la répartition de ces risques entre la puissance publique et le partenaire privé ;
- La soumission des procédures de passation des contrats aux principes de transparence, de mise en concurrence et d’efficacité de la commande publique ;
- La séparation des fonctions de contrôle, de passation et de régulation, attribuées aux mêmes institutions que pour les marchés publics et la création d’une nouvelle fonction d’assistance à la passation confiée à l’Unité d’Appui aux PPP, dotée de la compétence juridique, administrative et financière nécessaire à ces montages complexes et risqués.
Globalement cette structuration du cadre posé rejoint donc les meilleurs standards internationaux. Tout dépend donc maintenant de la mise en pratique qui ne débute qu’aujourd’hui, même si différents projets ont pu déjà être réalisés dans le passé dans un autre cadre.
Le Sénégal aura ainsi suivi en accéléré le même chemin que la France en ayant connu une première période privilégiant la famille concessive des PPP avec des réalisations ponctuelles dans les secteurs portuaires et miniers sans cadre juridique, puis la loi CET, et ayant ensuite mis l’accent sur les PPP à paiements publics en référence à la pratique britannique du PFI (project finance initiative) ou des PPP français dans les années 2012-2019 qui se référaient en fait aux PPP à paiements publics nouvellement introduits alors que les PPP concessifs avaient prospéré depuis des centaines d’années avec les différentes formes de délégations de service public.
Sur ces bases, le Sénégal pourrait adopter une politique PPP donnant aux administrations contractantes des orientations en termes de doctrine d’emploi pour le recours à l’une ou l’autre de ces familles, la famille des PPP à paiements publics restant beaucoup moins intéressante pour les finances publiques dès lors que ces PPP rentrent dans la comptabilité de la dette publique et pèsent directement sur le budget.
Le recours aux offres d’initiatives spontanées continue de poser question. Ce recours est très souvent prévu dans les législations PPP mais en prévoyant de soumettre le projet ainsi proposé à une procédure de mise en concurrence en accordant des avantages ou droits particuliers à l’entreprise auteure de l’initiative privée. C’est d’ailleurs le choix fait dans la directive de l’UEMOA qui autorise la négociation directe mais dans les cas de recours prévus par la loi PPP. La loi PPP du Sénégal fait au contraire le choix de créer un cas supplémentaire de recours à l’entente directe qui n’est pas prévu dans la directive (sous réserve d’étude plus approfondie).
2- Souvent, on invoque le coût de ces PPP aussi bien à la construction qu’à l’exploitation. Existe – t-il des mécanismes pour une meilleure maîtrise de ces coûts ?
Le coût des PPP est-il supérieur aux coûts de construction et d’exploitation en cas de recours aux formes classiques de marchés publics ?
Tous les spécialistes, y compris les plus fervents partisans de ces montages, reconnaissent des coûts supérieurs aux coûts d’un montage classique en matière de coûts de transaction et de coûts de financement.
- Les coûts de transaction recouvrent les coûts d’une procédure en générale plus longue que pour des marchés publics classiques et surtout la mobilisation d’une équipe d’experts financiers, juridiques et techniques que l’administration doit mettre en place pour faire face aux équipes de négociation des candidats ;
- Le coût du financement privé supporté par l’entreprise et répercuté à l’administration contractante est plus élevé que le coût de financement public ;
- Partout où le partenaire privé couvre ses risques par la souscription d’une police d’assurance, induisant à nouveau un coût, lorsque la puissance publique fait un choix différent justifiant la maxime « l’Etat est son propre assureur ».
Enfin on peut considérer que les coûts supérieurs de construction et d’exploitation sont inhérents à la mécanique même du PPP qui vise à donner au partenaire privé un rôle et une responsabilité plus importants que dans un montage classique. C’est bien là l’essence même des montages en PPP. Cela se traduit par le transfert d’un certain nombre de risques au partenaire privé ; par exemple s’il reçoit la mission de conception, de réalisation et de maintenance, c’est au partenaire privé de dimensionner l’ouvrage pour optimiser le coût global ; cela s’accompagne d’un certain nombre de risques qui peuvent être cause de mauvais dimensionnement, de coûts supplémentaires de maintenance ou de moindres recettes. Mais ceci a un coût : l’entreprise intègre dans sa marge une provision égale à l’évaluation de l’impact financier de réalisation du risque à proportion de la probabilité de survenance de la réalisation du risque.
Même à supposer qu’il y a bien eu mise en concurrence et que l’offre des candidats ait été calculée au plus juste afin de remporter l’appel d’offres, toutes les offres portées par des entreprises bien gérées vont intégrer ces coûts supplémentaires que constituent les provisions pour risques.
Dès lors la comparaison avec le coût de réalisation dans un montage classique de marchés publics est biaisée. La personne publique a très rarement une démarche de provisionnement des risques quand elle passe des marchés publics. Il y a toutefois des exceptions : le projet de 5 Mds d’euros de Canal Seine-Nord Europe dans le Nord de la France avait d’abord été envisagé en PPP. Le niveau des offres et l’insuffisance des financements avaient conduit à revoir le projet et à choisir un mode de réalisation classique en marchés publics. Mais l’équipe a proposé à l’Europe qui assure près de 50 % du financement de maintenir l’approche des risques héritée du montage en PPP pour justifier d’un budget prenant en compte le provisionnement d’une partie des risques.
Plusieurs armes peuvent être mobilisées pour la maîtrise des coûts dont certaines sont communes aux marchés publics : dynamiser la concurrence, et obtenir le plus de transparence dans les composantes de l’offre en imposant un cadre / modèle de réponses faisant apparaître les coûts, limiter les prescriptions du cahier des charges à ce qui est strictement nécessaires…
D’autres sont plus spécifiques à la démarche PPP en référence aux éléments de surcouts mentionnés ci-dessus : chercher à limiter le transfert des risques aux éléments réellement maîtrisables par l’entreprise privée. A titre d’exemple si les risques associés au retard dans la libération des emprises pour la construction d’un ouvrage ou d’une route sont transférés à l’entreprise alors qu’elle n’a pas de moyen pour agir, elle intègrera dans son coût une provision pour risque maximale. Pousser par la concurrence ou la négociation une entreprise à diminuer ses provisions pour risque pourra s’avérer un mauvais calcul si la réalisation des risques crée des difficultés insurmontables pour l’entreprise durant la durée (longue) du contrat de PPP. A ce stade la personne publique sera dans un tête-à-tête contractuel avec le partenaire privé pour passer un avenant, qui se traduit rarement par un rapport de force favorable à la personne publique.
3- Le développement du privé national et communautaire, ainsi que celui des PME est aussi au cœur du débat sur la commande publique. Pensez-vous que la règlementation du Sénégal sur les PPP est suffisamment efficace pour prendre en charge ces problématiques ?
Le dispositif est très complet et permet donc d’agir efficacement pour offrir toute sa place au secteur privé local et communautaire et aux PME. Tout est question de mise en pratique et d’utilisation de ces différents dispositifs. Il va plus loin que les dispositions du code des marchés publics, les mesures les plus impactantes étant
- La possibilité de réserver la consultation aux entreprises nationales et communautaires pour les projets d’une valeur globale inférieure à 5 Mds de F CFA ;
- Les dispositions concernant l’insertion de critères d’attribution liés au contenu local (emploi local et formation professionnelle, artisans et PME, développement durable) ;
- La condition obligatoire de réserver aux opérateurs économiques nationaux ou communautaires 33% du capital des sociétés de projet qui doivent être constituées dans les trois mois de notification du contrat de PPP. Toutefois cette condition peut faire l’objet de l’octroi de dérogations.
- Le principe de réservation de la sous-traitance à des entreprises nationales mais qui peut là encore faire l’objet de dérogations.
Ainsi l’ensemble de ces dispositifs est en réalité dépendant de la volonté de les utiliser tant par l’administration contractante que par l’UNAPPP qui va émettre un avis et au final le Comité interministériel qui devra valider.
J’estime que c’est la bonne approche au moins pour une première application des textes, tant il est vrai qu’aucun projet n’est semblable à un autre et que l’approche raisonnable est de pouvoir ajuster le dispositif au contexte. Toutefois ces mécanismes ne seront mis en œuvre que par une forte volonté politique car la pente naturelle risque d’être pour les différents acteurs du processus PPP de vouloir aller à la solution de facilité en recourant à des opérateurs déjà habitués des PPP.
Les possibilités ouvertes par la réglementation nécessiteront sans doute toute une politique d’accompagnement des opérateurs nationaux et une politique de filières pour aller identifier et promouvoir le développement d’entreprises nationales.
4- Quelles sont les meilleures pratiques et les limites dans ce domaine ?
Tous les projets n’offrent pas les mêmes possibilités dès lors que certains requièrent l’appel à des entreprises internationales soit pour des raisons de savoir-faire et de technologie, soit pour des raisons de dimensionnement de l’entreprise pour faire face aux engagements contractuels d’un grand projet.
Le dispositif sénégalais offre la possibilité de rejoindre les pratiques mises en œuvre dans d’autres pays. Les limites des systèmes de droit de préférence sont dans le dimensionnement de la marge de préférence pour avantager suffisamment l’entreprise nationale ou la PME. Avant même cela, il peut être fait échec au dispositif en poussant les administrations contractantes à faire une présélection des candidats plus sévère sur l’exigence de capacités et d’expérience.
Mais je voudrais mettre en avant ce qui me paraît constituer la première arme au service de la démarche de promotion des PME et du secteur privé nationale ou communautaire : la définition du projet et/ou son allotissement pour permettre un accès direct aux nationaux et particulièrement les PME, et en limitant le nombre de lots pouvant être attribués à une même entreprise.
Ceci se vérifie déjà dans le domaine des marchés publics : la direction du matériel du ministère des finances, en charge d’acheter le mobilier de bureau pour l’ensemble des administrations, a fait le choix il y a déjà 8 ans de changer de stratégie en renonçant à la passation d’un marché global qui du fait de son volume, suscitait des offres internationales, pour aller vers un allotissement de plus de 80 lots qui a permis d’intéresser les artisans sénégalais. On voit que la décision de configuration de la consultation par un allotissement est le moyen d’une politique de développement local. De même il y a des pays qui font le choix de lancer en PPP concessif la réalisation et l’exploitation d’abattoirs dans les différentes régions du territoire en dimensionnant la configuration de chacun des projets ou des lots de manière à intéresser le secteur privé national.
Cela suppose que l’ingénierie achat qui vise désormais à permettre à l’achat public de contribuer au développement national et communautaire soit présente en amont dès la définition des projets. Si la politique de construction des abattoirs est conçue sans prendre en considération cette ingénierie achats au départ, il sera beaucoup plus difficile de promouvoir secteur privé national et accès des PME.
Or le process des PPP offre de nouvelles opportunités dès lors que l’étude préalable et l’approbation du projet mobilise cette ingénierie achat en amont, au moment de la définition même du projet. L’article 2 d) du décret d’application de la loi PPP prévoit bien que le Comité interministériel a notamment pour mission de donner les orientations sur la stratégie de contenu local du projet. Il me semblerait intéressant d’en faire une interprétation large en demandant au comité interministériel de regarder toutes options de définition du projet qui soit plus adaptée à une participation locale.
5- Quelles sont les pratiques à éviter pour tirer davantage profit de ces types de partenariats ?
Plus que de pratiques à éviter, je parlerai des risques de mauvais usage dont il faut se prémunir. Le mauvais usage est celui qui base le choix de ce mode de réalisation sur la facilité qu’il ouvre à faire l’économie du processus budgétaire, l’économie de la planification des projets et du développement, l’économie de l’application des règles de mise en concurrence de la commande publique.
Le Sénégal a clairement prévu de soumettre à l’avis conforme du ministère des finances l’examen de la soutenabilité budgétaire et financière de long terme du projet, et la prise en compte du projet dans la comptabilité budgétaire est expressément spécifiée dans la loi, en conformité avec les principes établis par le Fond Monétaire International. Il doit donc être mis en pratique pour que la question de l’apparente facilité budgétaire ne soit pas un argument par méconnaissance de l’impact du projet sur le budget.
Le comité interministériel PPP est en principe constitué pour permettre d’assurer la planification du développement. Dans d’autres pays ce type de comité a une compétence élargie à l’ensemble des projets d’investissement public quelque soit son mode de réalisation pour pouvoir effectuer une priorisation sur l’ensemble des projets.
Enfin s’agissant des règles de la commande publique de mise en concurrence, on voit bien que le risque existe dans l’usage de l’offre d’initiative privée, comme il existe dans le code des marchés publics s’agissant des offres spontanées, qui permet d’échapper aux règles de la mise en concurrence puisque l’offre d’initiative privée est un des cas autorisés d’entente directe.